"Un membre permanent de la famille" de Russell BANKS
Je vous parle aujourd’hui d’un recueil de nouvelles que j’ai lu dans des conditions très particulières : j’étais en train de lire « Le météorologue » d’Olivier Rolin et cela devenait difficile. J’en étais aux deux tiers du livre et j’avais besoin de reprendre mon souffle.
J’avais emprunté ce livre à la médiathèque et il attendait son tour sur la table de chevet. Comme il s’agissait de nouvelles je l’ai lu en parallèle. En même temps, je revenais sur le petit imagier dont j’ai déjà parlé. Très bonne expérience.
Résumé
Ce livre est constitué de douze nouvelles qui racontent chacune un passage de la vie d’un homme ou d’une femme. On rencontre tout à tour, un ancien « marine » victime d’une commotion cérébrale à cause d’un accident de la circulation, dont les fins de mois sont difficiles ; un homme en train de divorcer et qui se dispute la garde des animaux, car la chienne l’a choisi, lui. C’est la nouvelle qui donne le titre à l’ouvrage.
Un autre homme divorcé mais pas encore libre dans sa tête et qui n’a pas refait sa vie. Un homme qui va rencontrer la veuve de celui qui lui a donné son cœur pour une greffe.
Il y a aussi des femmes dans ce recueil, l’une d’elle vient de perdre son mari et récupère l’urne contenant ses cendres et ne sait comment se comporter ; une autre femme, noire qui va s’acheter sa première voiture qui va se retrouver oubliée dans le parking du garage…
Ce que j’en pense :
C’est très difficile, je trouve, d’écrire une chronique sur un recueil de nouvelles car on ne peut pas donner d’indice sur le lien qui existe entre elles, car ce serait révéler une partie du suspens. De même, entrer dans les détails risque de nous amener à citer beaucoup de personnages or, ce n’est pas ce qui fait l’intérêt.
Je vais donc rester sur le style de l’auteur, qui m’a bien plu, avec une écriture assez vive, pour entretenir l’envie de poursuivre et en même temps, dressant des portraits de personnages qui ont leur faiblesse, leurs failles parfois dans ce monde difficile, personnel qui est le notre aujourd’hui, et pour lesquels on éprouve de la tendresse car leur vie est plus ou moins semblable à la notre. Les émotions, les affects sont très bien décrits, avec lucidité, et empathie.
Russel Banks nous offre ainsi un moment crucial dans la vie de chacun des personnages dont on sent qu’ils sont arrivés à l’heure d’un bilan et peut-être d’un changement dans leur vie.
J’ai aimé tous les personnages, car ils mènent la vie de tout un chacun, et c’est un peu comme si l’auteur parlait de nous.
Il évoque aussi la fragilité des liens d’amitié, comment devient-on amis, et comment reste-t-on amis ? et aussi celle de l’amour.
Des nouvelles qui se lisent avec plaisir, dans des paysages variés, car l’auteur nous fait voyager, dans des régions et dans des familles différents. J’ai eu l’impression que l’auteur laissait le lecteur imaginer une suite dans sa tête, car on n’a pas envie d’abandonner les personnages. On passe de l’un à l’autre avec légèreté, comme si on feuilletait un album photos.
C’est le premier livre de Russel Banks que je lis et j’y ai pris du plaisir. Il a su capter mon attention et m’entraîner avec lui dans ces instants de la vie (fragment de vie) de chacun des personnages. J’ai beaucoup aimé « Blue », l’histoire de la femme noire qui va s’acheter une voiture, et que l’on oublie sur le parking et « Oiseaux des neiges » et bien sûr celle qui donne le titre au recueil.
Note : 8/10
L’auteur :
Né le 28 mars 1940, à Newton, dans le Massachusetts, Russell Banks, est sans conteste l’un des écrivains majeurs de sa génération. Cet auteur progressiste est président du Parlement international des Ecrivains et membre de la prestigieuse American Academy of Arts and Letters.
Son œuvre, traduite dans une vingtaine de langues et publiée en France par Actes Sud, a obtenu de nombreuses distinctions internationales, dont le Prix Dos Passos en 1985.
Il vit dans l’Etat de New York. Il enseigne actuellement la littérature contemporaine à l’université de Princeton.
Ses livres les plus connus sont : « Affliction » et « De beaux lendemains », tous les deux adaptés au cinéma.
Récemment chez Actes Sud : « Lointain souvenir de la peau » (2012).
Extraits :
A cette époque, il y avait entre Louise et moi de nombreuses différences sur ce qui relevait de la réalité et de l’illusion, du vrai et du faux, et nous confondions souvent les causes de la dégradation de notre vie de couple avec les symptômes d’une vie de couple déjà brisée. P 32
Nous perdons tous notre innocence bien assez tôt. Pour la plupart, nous n’y sommes cependant pas prêts émotionnellement ou intellectuellement avant la trentaine ou même plus tard, et donc, quand on la perd de trop bonne heure, pendant l’enfance ou l’adolescence à cause d’un divorce ou de la mort soudaine ou prématurée d’un parent, on peut rester fixé sur cette perte toute sa vie. P 36
Comme elle survient trop tôt, la perte ne paraît pas naturelle mais violente et arbitraire, c’est une blessure permanente et gratuite qui laisse en nous une colère contre le monde. Alors, afin de donner une cible convenable à cette colère diffuse, on cherche un coupable. P 37
Howard estimait s’être marié trop tard, déjà trop vieux pour pouvoir changer sa façon d’être. Les femmes le trouvaient attirant bien qu’il soit froid et égoïste, et il avait souvent trompé Janice jusqu’à ce que Janice finisse par le tromper à son tour, tombe amoureuse d’un de ses amants, et maintenant elle était mariée à cet homme dont elle avait deux enfants – voilà.
Quand il vous arrive un truc épouvantable et que c’est votre faute, bon sang, on n’en fait pas son deuil, se dit-il. Ce qui s’est passé, c’est à vous de vivre avec. P 68
Après presque quarante ans de vie conjugale, Isabel, comme n’importe quelle autre femme, avait fait tant de petits compromis, tant de concessions pour faire coïncider sa vision de ce qui était désirable et nécessaire avec celle de son mari, qu’elle ne savait sans doute plus ce qui, pour elle seule, était désirable et nécessaire. P 92
Quand tu as été toute ta vie mariée à quelqu’un et que ce quelqu’un meurt, d’une certaine façon tu meurs aussi. Sauf si tu décides de renaître transformée en quelqu’un d’autre, en une personne encore non définie. Alors, c’est presque comme si tu avais l’occasion de redevenir adolescente. Pour l’instant, c’est comme ça que je me sens. P 94
C’est à ça que ça aboutit avec les junkies. Ils vivent dans leur propre récit personnel même quand ils ne sont pas défoncés. Ils inventent la réalité et la déforment selon leur envie de drogue, et si tu ne marches pas dans leur récit, ne serait-ce qu’un tout petit peu, c’est ta réalité à toi qui se trouve infectée jusqu’à ce que leur déformation devienne aussi la tienne… c’est comme un virus. Leur maladie devient la tienne. La seule réponse valable c’est te mettre en quarantaine, loin d’eux, ne pas écouter le premier mot de leurs explications compliquées sur ce qu’ils ont fait ou pas. p 210
Lu en avril 2015