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Les livres d'Eve
28 janvier 2015

"Du domaine des Murmures" de Carole MARTINEZ

          Je vous parle aujourd’hui, d’un livre, petit par la taille, (200 pages) mais d’une intensité incroyable, que j’ai découvert ainsi que son auteure grâce aux Babeliotes mordus de Moyen-âge. Il s’agit de « Du domaine des Murmures » de Carole Martinez.

 

du-domaine-des-murmures de Carole MARTINEZ

Résumé

 

          Nous sommes en 1187. Esclarmonde, âgée de quinze ans, doit épouser Lothaire de Montfaucon, coureur de jupons, que son père, Amaury de Joux lui a choisi alors qu’elle veut consacrer sa vie à Dieu. Le jour du mariage, elle refuse et se tranche l’oreille avec un canif, imitant le geste de Sainte Agnès envers qui elle éprouve une grande dévotion. Un agneau entre alors dans l’église donnant à la scène un aspect miraculeux.

          Elle demande à son père de construire une chapelle dédiée à Sainte Agnès en lui accolant une cellule sans le moindre confort où elle veut être emmurée jusqu’à la fin de ses jours. Malgré son immense colère, car il se sent humilié, celui-ci accepte. "L’humiliation avait été terrible. face à tous, me rebellant, je l’avais trahi, sali, déshonoré"

          Curieusement, alors qu’elle est emmurée, Esclarmonde met au monde un enfant, qu’elle prénomme Elzéar ce qui signifie « Secours de Dieu » ; tout le monde va le considérer comme miraculeux puisqu’il a les mains ensanglantées (comme les stigmates du Christ)  et de partout les pèlerins vont affluer en masse se recueillir devant elle et lui demander conseil ….

 

 

Ce que j’en pense :

 

         J’ai beaucoup aimé ce roman, car l’auteure aborde de façon très poétique l’importance, de la foi au XIIe siècle en particulier, où il était fréquent qu’un enfant qu’il soit fille ou garçon désire consacrer sa vie à Dieu,  à la prière, à la contemplation. La religion tenait une place essentielle dans la vie du peuple.

          C’était plus simple s’il s’agissait d’un garçon, il faisait des études et devenait prêtre, ce qui était un honneur. Pour les filles, c’était plus compliqué, il convenait de bien les marier, pour accroître le domaine, pour avoir des enfants qui transmettent les biens, que le nom ne se perde pas, pour les gens fortunés. Donc, les mariages étaient arrangés par les familles, les filles étant très jeunes, vierges, ne connaissant rien de l’amour.

          L’auteure évoque aussi la relation ambigüe d’Esclarmonde avec son père : ils sont très proches car il a perdu sa femme et il a du mal à la laisser partir et encore moins pour épouser Dieu.

          On assiste au changement complet, radical de Lothaire qui, face à la seule femme qui lui a dit non, va se transformer en amoureux transi et se mettre à composer des poèmes, et venir les chanter à sa belle. Le coureur de jupon est devenu troubadour.

          Esclarmonde est vraiment convaincue de sa foi et sûre d’avoir choisi le bon chemin, refusant tout confort dans sa cellule qui ressemble plutôt à une grotte d’ailleurs. Les habitants du village viennent lui demander des prières, et des conseils, elle est censée faire des miracles, on se souvient de l’agneau dans l’église, et ensuite il y aura l’enfant qui naît alors qu’elle était vierge lorsqu’on l’a examinée avant qu’elle ne prenne ses vœux.

          Carole Martinez raconte aussi les accès de ferveur qui sont à la limite du délire mystique, Esclarmonde voit et entend des choses alors qu’elle envoie son père en croisade, pour que ses fautes lui soient pardonnées, elle voit tout le chemin parcouru, le sable, le désert, la dureté des combats. Est-ce que sa foi lui donne le pouvoir de visualiser les scènes à distance comme les apparitions de la vierge dans les lieux devenus saints ?

          Ce livre nous montre jusqu’où peut mener la foi excessive, comment on peut tuer au nom de Dieu pour libérer les lieux saints, et comment les gens sont prêts à croire au miracle en interprétant des signes qui n’en sont pas.

          Tous les personnages sont intéressants : Douce, la deuxième femme d’Amaury de Joux, Lothaire, bien sûr, mais aussi la géante Bérengère et ses amours, l’évêque …  

          On se laisse entraîner dans cette histoire avec ivresse tant elle semble vraie, l’auteure nous parle d’êtres qui ont réellement existé : Lothaire de Montfaucon, Amaury de Joux et sa femme Berthe, la troisième croisade sous la conduite de Frédéric Barberousse, le valeureux géant roux qui a peur de l’eau, et la région où se situe l’action, la plaine de la Loue est tellement bien décrite qu’on arrive à se l’imaginer aussi bien  que les combats sous le soleil brûlant pendant la croisade. Ainsi, a-t-on l’impression d’être dans un roman historique alors qu’il s’agit d’un roman, un long poème en prose.

          J’aime énormément le style de Carole Martinez, les mots sont bien choisis, symboles de l’époque où ont eu lieu des évènements qui sembleraient impossible de nos jours, chez nous mais qu’une récente actualité (les attentats du sept janvier) remet curieusement à l’ordre du jour : on ne tue plus au nom du Christ (encore que…) mais au nom d’Allah, mais toujours avec la même folie et la même certitude de détenir la bonne croyance.

          Je me suis ruée sur internet pour acheter un autre de ses romans qui a enchanté les lecteurs : « Le cœur cousu » pour retrouver au plus vite ce style particulier et m’y plonger…

          « Du domaine des Murmures » a obtenu le Goncourt des lycéens en 2011 ce qui prouvent qu’ils ont bon goût comme souvent et se moquent des éditeurs, ne s’intéressant qu’aux livres en eux-mêmes.

          Note : 8,2/10

 

 

L’auteur :


Carole MARTINEZ 1

Carole Martinez est née en 1966, et a vécu la majeure partie de sa vie en Moselle.

"Le cœur cousu" est son premier roman, il lui a valu à Saint-Malo en 2007 le troisième prix Ouest-France Étonnants Voyageurs. Le souffle lyrique et la force poétique de ce premier roman aux allures de conte ont séduit les dix jeunes jurés.

Carole MARTINEZ 2


En 2011, elle publie "Du domaine des murmures" qui remporte un succès critique et public, il est récompensé par le Goncourt des lycéens. Son récit prend vie au Moyen-âge en Franche-Comté, au sein du château de Hautepierre aussi l'ouvrage reçoit en 2012 le prix Marcel Aymé décerné par le conseil régional de Franche-Comté.

 

 

Extraits :

 

          «Je suis Esclarmonde, la sacrifiée, la colombe, la chair offerte à Dieu, sa part.

          J’étais belle, tu n’imagines pas, aussi belle qu’une fille peut l’être à quinze ans, si belle et si fine que mon père, ne se lassant pas de me contempler, ne parvenait pas à me céder à une autre.

         Le mariage n’était pas chose légère. Pas de choix, pas même celui de Lothaire en fait, le double consentement exigé par l’Eglise n’était que celui des familles. P 23

 

         Sa fougue et son habilité aux tournois lui avaient si bien permis de se distinguer que, de l’avis de tous, même de mon père, un bon sang viril méritait de se perpétuer. Cette union était donc une aubaine… Je ne serai qu’un pudique récipient que les grossesses successives finiraient par emporter. P 23

 

          Le fil de sa pensée a continué de se dévider en mon esprit cette nuit-là, comme si, énoncée à haute voix, elle m’avait été directement adressée.

          Si Dieu lui réclamait sa seule fille vivante, c’était sans doute pour le punir de l’avoir trop aimée, trop bien gardée, trop regardée. Cette tendresse qu’il avait eue pour son enfant avait paru coupable. P 29

 

          J’avais partagé la vie de mon père quinze ans durant, il n’avait jamais vécu avec quelqu’un si longtemps…Mais j’avais renié son sang, le versant dans l’église, et je m’étais choisi un maître contre lequel nul ne pouvait lutter. Je le délaissais, je l’abandonnais à lui-même, je lui préférais Dieu, ce dévoreur de vies. Entre le père céleste et le père géniteur j’avais choisi de glorifier le premier aux dépens du deuxième. L’humiliation avait été terrible. face à tous, me rebellant, je l’avais trahi, sali, déshonoré. P 30

          Je ne doutais pas, je n’éprouvais aucune peur, juste une pointe de nostalgie, un pincement sous les côtes. Dieu serait avec moi pour repousser les murs de ma cellule, Dieu m’offrirait des visions plus amples encore. Je contemplerais Son univers, je voyagerais dans un réduit de pierre.

          J’avais choisi. P 35

 

          O ce vide en mes bras comme un creux en mon âme !

          Pour la première fois Dieu ne m’était d’aucune aide. M’avait-Il abandonné comme je venais d’abandonner mon fils ? J’ai tenté de prier pour combler la solitude immense. Mais rien ne venait à bout d’une peine trop grande pour tenir toute entière en mon corps, pour tenir toute entière dans cette petit pièce ou dans l’infime paysage qu’éclairait ma fenestrelle. Il me semblait que la forêt elle-même n’aurait pu contenir ce désert-là.

          Dieu n’avait plus la place, tant Elzéar absent m’emplissait. P 71

 

          Ceux qui se bousculaient devant la fenestrelle pour assister à la scène ont découvert ses paumes en même temps que moi.

          Un murmure s'est fait dans le public.

          Un murmure de stupeur et d'effroi.

          Le nouveau-né avait les paumes percées. P 72

 

          Les croisades sont des saignées qui rééquilibrent les humeurs du pays. Qu’elles emportent au loin les jeunes chevaliers, les cadets sans terres et sans femmes, dont les tournois ne parviennent pas à calmer les ardeurs, qu’elles éloignent tous ceux qui sèment le trouble dans le comté et ne respectent pas la Paix de Dieu ! qu’elles le vident de ce sang jeune qui n’y trouve pas sa place, du pus que sont les fous du Christ incapables de dégorger leur violence, de la morve des désœuvrés … P 79

 

 

Lu en janvier 2014


 

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Commentaires
B
J'adore les romans sur le Moyen-Age, ils sont souvent très bien écrits :)
U
Saperlipopette. Je vois le mot moyen-âge et mes yeux battent le rappel pour m'attarder sur ton article. Encore un que je vais noter.
P
J'aime bien le moyen âge et ton avis finit de me convaincre, Je me demande si j'ai lu le coeur cousu
A
Il faudra que je me décide à le lire, mais j'ai peur d'être déçue.
L
Je suis contente, j'ai adoré ce bouquin !
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