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Les livres d'Eve
28 juin 2014

"la garçonnière" d'Helène GREMILLON

Aujourd'hui, j'ai décidé de vous parler d'un livre qu'on pourrait appelé "polar psychologique" mais, certes il y a un meurtre et il est analysé sous l'angle de la psychologie mais l'auteure va beaucoup plus loin que cela.

 

 

la garçonnière Hélène Grémillon

 

                                                                          Résumé

 

            Vittorio Puig psychanalyste, rentre dans son appartement. Il fait froid, il y des verres cassés, du désordre. Il ferme la fenêtre, cherche sa femme Lisandra quand il entend hurler dans la rue : en ouvrant la fenêtre il voit le corps de sa femme écrasé sur le trottoir.

            Tout de suite, la police l’accuse du meurtre et il demande à une de ses patientes, Eva-Maria qui vient le voir au parloir, d’enquêter, d’aller chez lui, chercher les cassettes des enregistrements récents de ses entretiens avec ses patients. Nous sommes en Argentine, à Buenos Aires en 1987, le spectre de la dictature n’est pas loin.

            Eva-Maria est persuadé qu’il est innocent donc elle accepte d’écouter et retranscrire les entretiens en questions, pour trouver une piste, quelqu’un qui lui en voudrait assez pour tuer Lisandra en guise de rétorsion. Cette femme a perdu la trace de sa fille, qui a disparu lors de la dictature, et elle entretient des relations houleuses avec son fils Esteban.

 

 

 

                                                       Ce que j’en pense :

 

            Dans ce roman, Hélène Grémillon aborde plusieurs problèmes. Tout d’abord, celui de la culpabilité : Vittorio a-t-il ou non tué sa femme ? Mais aussi la culpabilité que chaque être peut ressentir par rapport à ses actes ou ses pensées.

            Elle aborde également l’état de la police et son fonctionnement après la dictature. Est-ce que la présomption d’innocence existe ? Quand on voit comment sont menés les interrogatoires, la suspicion d’office, on se dit qu’il y a encore des progrès à réaliser.

           Que sont devenus les tortionnaires ? Ils n’ont pas vraiment été jugés et se sont infiltrés dans les nouveaux rouages. Il y a une nostalgie de ne plus pouvoir torturer.

            Quel rôle ont joué certains psychiatres sous la dictature ? Il est clair que certains ont participé à la mise au point des tortures psychologiques. Les thérapies cognitives et comportementales (TCC) ont été largement utilisées dans les pays sous dictature. On reconditionnait les gens pour qu’ils pensent conformément aux règles du régime, ce qui existe encore.  Que sont-ils devenus eux-aussi ces psychiatres? Certains sont installés tranquillement dans leur cabinet en ville, qui va les soupçonner ?

            Eve-Maria est traumatisée à vie par la disparition de sa fille, elle a peut-être défilé sur la place de mai le jeudi avec les autres mères qui ont perdu un enfant ou un mari ? Est-ce qu’on peut faire le deuil d’un disparu : il n’y a pas de corps devant lequel se recueillir, donc l’espoir qu’il ne soit pas mort est là, tapi dans l’ombre, même s’il est ténu.

            Elle boit pour tenir le coup et passe complètement à côté de la souffrance de son fils Esteban (on ne peut pas lutter contre une disparue qui au fil du temps devient de plus en plus parfaite car idéalisée alors que lui accumule les maladresses et les bêtises pour que sa mère s’intéresse enfin à lui).

            Eve-Maria en écoutant les enregistrements comprend que Vittorio a aussi en thérapie des anciens membres de la dictature : Felipe par exemple qui a adopté un enfant (probablement un enfant enlevé à une opposante au régime) donc, sa confiance est ébranlée, comme peut-il être patient et attentif avec un ancien criminel comme il l’est avec elle qui est une victime.

            On voit passer aussi Alicia qui n’est préoccupée que par une chose dans sa vie : l’apparition d’une nouvelle ride, sa peau qui flétrit, ses mains qui vieillissent et qui envie les femmes de la place de mai avec leur foulard blanc ridicule car elles au moins elles ont d’autres préoccupations !!!!

            Un autre patient, Miguel, pianiste,  ami de Vittorio vient raconter ce qu’il a vécu sous la torture et qu’il a mis des années à mettre en mots. Mais à une soirée, il a soudain reconnu une voix, celle d’un de ses bourreaux et tout est devenu clair dans sa tête…

            On s’interroge aussi sur la personnalité de Lisandra ; on sait que c’est une jeune femme fragile, qui a un immense besoin d’être aimée, elle ne peut avoir confiance en elle qu’à travers le regard de l’autre. La culpabilité est présente aussi, chez elle. Qu’a-t-elle fait de si terrible pour ne pas mériter l’amour. On s’attache à elle car on sent qu’il y a un lourd secret qui se révélera à la fin du roman (fin qui est d’ailleurs extraordinaire). On l’imagine, aérienne, évoluant sur la piste, si belle et si fragile.

            Par contre, quelque chose m’interpelle dans le livre : Vittorio demande à une de ses patientes de mener l’enquête en écoutant les fameux enregistrements : quid du secret professionnel ? Où est la neutralité bienveillante ? La vie du thérapeute doit rester un mystère pour l’analysé, s’il devient copain, le travail n’est plus possible. Eve-Maria le perd pour toujours comme analyste. C’est la règle de base dans la psychanalyse. En faisant cela, Vittorio utilise l’attachement d’Eva-Maria à son égard, à des fins un tantinet perverses, comment peut-il ne pas penser à ce qu’elle va ressentir en lisant ce que lui raconte l’ancien tortionnaire ?

            Bien sûr qu’il doit soigner tout le monde mais, là il sort de son rôle. Tous les moyens sont bons pour tenter de se disculper, ce qui nous le rend moins sympathique, de ce fait.

            On a également une très belle analyse de la jalousie, dans ce qu’elle a de pathologique. Toute femme est un danger pour Lisandra qui a si peu d’estime pour elle-même et le moindre regard, le moindre geste de Vittorio vers une autre femme déclenche une scène. La jalousie est presque un personnage du livre, tant elle présente de même que la culpabilité d’ailleurs. L’auteure insère une partition de musique intitulée « jalousie » dans le livre.

            L’auteure analyse très bien aussi la relation mère-fils entre Eva-Maria qui recherche désespérément sa fille perdue, probablement, certainement morte, et Esteban sait d’avance qu’il ne sera jamais à la hauteur. Leur souffrance est terrible. Que peut-il en sortir ?

            La dernière interrogation est le choix du titre « la garçonnière »: il est curieux, on ne connait la véritable signification qu’à la fin et ce n’est pas du tout ce à quoi on pouvait s’attendre et en fait un très bon choix, et pas une seconde on n’y pense en lisant le livre, on a la révélation à la fin. 

             Un très bon roman, qu’on peut qualifier de « polar psychologique » où l’auteur a su aborder tous les thèmes de l’histoire de l’Argentine après la dictature, et les répercussions sur les personnages. La torture est omniprésente, les enfants enlevés à leurs parents et confiés aux dignitaires du régime, l’envie de vengeance aussi, et l’impossibilité du deuil, la fragilisation des protagonistes dans ce milieu où régnait la peur, la crainte d’être dénoncé. Et en parallèle tous les thèmes chers à la psychanalyse : culpabilité, souffrance, manque d’estime de soi…

             Et même la danse, que Lisandra pratique avec un professeur, pas n’importe quelle danse bien sûr, le tango argentin avec ses accents dramatiques qui nous émeuvent en profondeur, qui parlent à notre âme comme peuvent le faire le fado ou le flamenco (tiens donc, ici aussi on lie musique et dictature). La danse dans laquelle elle oublie ses peurs et les transcende.

            J’ai beaucoup aimé ce livre et Hélène GREMILLON est aussi une auteure que je vais suivre de près. En commençant par « le confident » que je n’ai pas encore lu.

 

 

                                                            L’auteur :

 

helene_gremillon 1

Hélène Grémillon est une femme de lettres française née à Poitiers le 8 février 1977 (37 ans).

Après des études de Lettres, Hélène Grémillon a évolué dans le milieu de la publicité puis de la production audiovisuelle. Mais l’écriture était une envie qu’elle portait en elle depuis longtemps. En 2008, elle se lance dans l’écriture de ce qui sera son premier roman, « Le confident ». Dans ce duel entre deux femmes autour d’un enfant, sur fond de 2nde Guerre mondiale, Hélène Grémillon a su démontrer un réel talent dans la description de la psychologie de ces personnages. Il est intéressant de savoir qu’au cours de l’écriture de son roman, l’auteur est tombée enceinte et que ce sentiment de maternité l’a aidé dans son travail.
Par des critiques élogieuses et un excellent retour des libraires, le 1er roman d’Hélène

Hélène Grémillon 3

Grémillon a reçu un très bon accueil public. Publié fin 2010 et récompensé par le prix Roblès 2011, « Le confident » figurait également sur la liste finale du Prix de la Fondation Prince Pierre de Monaco.
Le Confident s'est vendu à plus de 250 000 exemplaires en poche et a paru dans une vingtaine de pays.

Elle est l'épouse de Julien Clerc, pour le côté people….

 

 

 

 

                                                                  Extraits :

 

 

            « Finalement Lisandra avait eu raison d’avoir peur, savait-elle d’instinct comment, un jour, elle mourrait ? Et si on le savait tous, d’instinct, au plus profond de soi, comment, un jour, la mort viendra nous cueillir, et si nos névroses n’étaient pas relatives à notre passé, comme on le croit toujours, mais à notre avenir, des cris d’alarme. P 51

 

            Eve-Maria regarde tous ces corps réunis, tous ces corps qui ont fini de grandir. Elle pense, comme l’enfance manque aux enterrements. Eve-Maria se sent étrangère. N’importe qui peut se glisser dans le cortège d’un enterrement et c’est précisément pour ça qu’elle est là, le meurtrier est peut-être là aussi, caché parmi les proches, venu assister à l’ultime conséquence de son acte. Fou. Invisible, deus ex machina. P 104

 

            Eva-Maria fait partie des usurpateurs de chagrin d’enterrements. Ceux qui ne pleurent pas la mort qui repose en face d’eux, mais la mort qu’elle leur rappelle, ou celle qu’elle leur fait craindre. Elle aurait tant aimé enterrer sa fille… le monde à l’envers. L’enterrement d’une morte c’est une chose, d’une tuée c’en est une autre. La douleur de ne pas savoir comment est morte celle qu’on enterre contrarie le deuil, et il ne faut jamais contrarier le deuil ou il ne se fera jamais. P 105

 

            Une nouvelle classe est née cette nuit de Noël en Argentine. Ceux qui jouissent de l’impunité parce qu’ils sont militaires. Et maintenant l’obéissance due, qui absout aussi les militaires de rang inférieur au nom du principe hiérarchique. Alfonsin. Salopard. Avoir donné aux bourreaux la tâche de se juger eux-mêmes. Auto-assainissement de soi-même par soi-même. Hypocrisie, sophisme. L’amnistie, décidée par les bourreaux : comble de l’inhumanité admise. En Argentine, on boit du maté et on avale l’impunité, en Argentine, on danse le tango, les tortionnaires aussi. Mais ça, on ne l’écrit pas dans les guides touristiques. P 143

 

           L’impunité ne résout rien. L’impunité impose une cohabitation impossible entre les meurtriers et leurs victimes, elle excite les suspicions et les haines. Dans le plus profond des âmes. Dans ce renoncement secret où la bile s’amoncelle, s’accumule. Le cœur d’un volcan. Dans cette cachette où se terrent les plus violentes colères, celles qui ravagent tout quand elles éclatent. Car elles ne manqueront pas d’éclater. A la lueur peut-être d’un autre contexte historique, mais elles éclateront. Si ce n’est pas cette génération qui réclame justie, ce sera la suivante. P 144

 

            … transformer la terreur en récit, lui imposer les formes obligatoires à toute narration, trouver les bons mots, enfin les plus justes pour exprimer ces images et même retrouver une certaine chronologie, c’est ce qui a été le plus dur, introduire l’ordre du temps dans la peur, mettre bout à bout des éléments, des gestes, des évènements qui jusque là se superposaient dans un millefeuille d’effroi, tout existait en dehors du temps, violemment, il m’a fallu le réintroduire, le temps, cette notion propre à l’humanité qui disparaît dès que l’inhumanité entre en action – mais j’ai réussi, tout ça je l’ai fait, tout seul. Maintenant, il faut que je le prononce devant quelqu’un et enfin, ça deviendra plus naturel… c’est comme une musique qu’on a en tête, il faut tout d’abord les notes, chercher celles qu’on entend, les trouver, et enfin que quelqu’un les écoute, autrement ça ne sert à rien, excepté nous enfermer dans le ressassement. P 160

 

            La monstruosité ne se considère jamais monstrueuse, elle trouve toujours des raisons de s’exercer, en son sien, les actes de torture deviennent des actes de justice, des honneurs même, mais il ne faut jamais excuser les Monstres, jamais, à moins d’être le dernier des salauds. P 192

 

            La jalousie est une maladie mentale, mère de tous les défauts humains, méchanceté, haine, misanthropie, resserrement de l’âme, égoïsme, radinerie. Et le pire, c’est l’horreur de sentir qu’on devient folle. Car je le sens que je deviens folle. Et ça ne sert à rien de devenir folle. P 254

 

 

                                                                       Lu en juin 2014

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photo challenges rentrée 2013

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J'avais beaucoup aimé "Le confident". Celui-ci me tente.
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