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Les livres d'Eve
31 janvier 2016

"Le rapport de Brodeck" de Philippe Claudel

          Je vous parle aujourd’hui d’un livre qui m’attendait depuis très longtemps dans ma bibliothèque. Mais ce n’était pas l’heure… il s’agit du roman de: 

 

Le rapport de Brodeck de Philippe Claudel

 

Résumé

 

          C’est l’histoire de Brodeck, un homme comme vous et moi, que la vie a malmené. Enfant il a dû fuir après l’incendie de la maison où sa famille a péri. Recueilli par Fédorine, ils ont marché longtemps pour s’installer dans ce village, quelque part à l’Est pas loin de la frontière allemande, car il y a des consonances germaniques souvent.

          Brodeck a été déporté après avoir été dénoncé comme « différent » « étranger » par les autres villageois. et il a survécu dans le camp de concentration en acceptant l’humiliation, manger la soupe dans une écuelle comme un animal, marcher à quatre pattes, un collier autour du cou, tenu en laisse pour la promenade par le directeur du camp, dormir avec les autres chiens.

          Les autres n’ont pas accepté l’humiliation, ils sont presque tous morts. Lui a ravalé sa dignité, fait ce qu’on attendait de lui. Il a survécu certes mais à quel prix ?

          De retour au village, sa femme ne parle plus, elle est dans un autre monde car elle a vécu l’horreur.

          Un jour, par hasard, il entre dans l’auberge du village où les autres villageois viennent d’assassiner un étranger « l’Anderer » qui dérangeait uniquement car il n’était pas comme les autres. Alors le maire et ses comparses le somment d’écrire un rapport sur ce qui vient de se passer alors qu’il n’y a même pas assisté.

          Brodeck qui a fait des études va rédiger ce rapport avec une extrême application tout en écrivant en parallèle, à l’insu de tous ses souvenirs et cela ne sera pas de tout repos tant il est surveillé par les autres villageois.

 

 

Ce que j’en pense :

 

          C’est le premier roman de Philippe Claudel que je lis et c'est un vrai choc.

          Je l’ai découvert grâce aux critiques des Babeliotes. C’était une évidence, je devais le lire, ce livre était pour moi. Mais j’ai remis à plus tard comme si je n’étais pas prête. Puis un jour, je l’ai ouvert et il ne m’a pas déçue.

          On pense que cette histoire se déroule dans l’Est, à la fin de la deuxième guerre mondiale. En fait l’auteur entretient le flou savamment.

          Il décrit tout ce mécanisme qui se met en place en face d’un étranger, de quelqu’un qui est différent, étrange car pas comme les autres villageois donc devient très vite suspect. Et la haine fait son lit dans la suspicion, le rejet. On voit monter l’intolérance de façon palpable. On sent ce qui va se passer, tout en espérant que la folie humaine ne peut pas recommencer.

          Après les horreurs des la guerre, des camps de la mort, ce n’est pas possible, cela ne peut pas recommencer, on a forcément tiré les leçons ? En fait non. C’est si facile, le déni,  l’oubli, la certitude que l’on vaut plus que l’autre…

          Il y a les « amis » lucides comme Diodème qui a fait partie des délateurs qui ont envoyé Brodeck en déportation. Soulagé de le voir revenir vivant mais taraudé par l’indicible, il finira par se suicider en laissant des documents, des preuves.

          Il y a le curé, qui a reçu  les hommes en confession et entendu tellement d’horreur sur les faits en gestes des uns et des autres qu’il préfère boire pour ne plus penser. Je suis l’égout, Brodeck. Je ne suis pas le prêtre, je suis l’homme-égout.

           Emelia s’est réfugiée dans le silence après ce qu’elle a enduré et elle est en mode survie pour ne pas sombrer dans la folie, emmurée vivante. Sa petite fille, Poupchette est le seul être qui les rattache à la vie, par son innocence, ainsi que la Nature, la forêt qui, elles, ne trahissent pas.

          Un livre magnifique sur la lâcheté, la haine, l’humiliation, la survie, le racisme, la xénophobie, mais aussi la résilience… une belle écriture, les mots sont justes, choisis à dessein. La musique intérieure se fait de plus en plus oppressante, comme les bandes son des westerns. Ce sont tous des taiseux mais ce silence résonne, martèle… un silence assourdissant…

          Philippe Claudel décrit très bien aussi le phénomène de masse, de foule qui entraîne la meute à commettre des actes odieux, inimaginables qu’un individu seul hésiterait à faire. La vérité, c’est que la foule est elle-même un monstre. Elle s’enfante, corps énorme composée de milliers d’autres corps conscients… il n’y a pas de foules paisibles. Et même derrière les sourires, les musiques, les refrains, il y a du sang qui s’échauffe, du sang qui s’agite, qui tourne sur lui-même et se rend fou d’être ainsi bousculé et brassé dans son propre tourbillon. P 206

          Je suis convaincue qu’il y a un moment dans la vie où l’on est prêt à rencontrer un auteur, que cela ne se fait pas au hasard. A un moment précis, on sait que c’est l’heure, tout est en place pour recevoir le message. Peut-être parce qu'on voit monter les intolérances, le rejet de l'autre et la peur qu'il ne soit déjà pas tard pour arrêter la machine infernale.

          Dans la philosophie bouddhiste on dit, « lorsque l’élève est prêt, le Maître apparait ».

         Un coup de cœur donc, le premier de 2016. Et bien sûr j’ai dévoré les deux autres qui sont dans ma bibliothèque et je mets une option sur son dernier « L’arbre du pays Toraja »

          Note : 9,1/10

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L’auteur :

 

          Philippe Claudel est né à : Dombasle sur Meurthe , le 02/02/1962 .


           Né dans une famille d'ouvriers, Philippe Claudel a passé une agrégation de français. Il a choisi d'enseigner le français à la maison d'arrêt de Nancy et dans un centre pour enfants handicapés, en sus d'un poste de maître de conférences à l'université Nancy II. Il donne aussi des cours à l'institut européen du cinéma et de l'audiovisuel.

           Enseignant et écrivain (premier roman paru en 1999), il est aussi réalisateur ("Il y a longtemps que je t'aime" en 2008) et directeur d'éditions (depuis 2004, il dirige la collection écrivain chez Stock).

          Son deuxième film, "Tous les soleils" sort avec succès en 2011.

           Il a reçu le prix Marcel Pagnol en 2000 pour "Quelques uns des cents regrets", le prix Renaudot (2003) pour "Les âmes grises", le prix Goncourt des lycéens (2007), le Prix des libraires du Québec (2008) et le Prix des lecteurs du Livre de poche (2009) pour "Le rapport de Brodeck", le Prix Jean-Jacques Rousseau de l'autobiographie (2013) pour "Parfums".

           Il intègre l'Académie Goncourt le 11 janvier 2012 au couvert de Jorge Semprún. Il est fait Doctor Honoris Causa de l'Université catholique de Leuven le lundi 2 février 2015.

           II est marié et papa d'une petite fille.

 

PHILIPPE CLAUDEL LIT BRODECK- PRIX GONCOURT DES LYCEENS

 

Extraits :

 

          On ne se rend jamais compte combien le cours d’une vie peut dépendre de choses insignifiantes, un morceau de beurre, un sentier que l’on  délaisse au profit d’un autre, une ombre que l’on suit ou que l’on fuit, un merle que l’on choisit de tuer avec un peu de plomb , ou bien de l’épargner. P 18

 

          Les hommes vivent un peu comme les aveugles, et généralement, ça leur suffit. P 19

 

          Je préfère écrire. Il me semble alors que les mots deviennent très dociles, à venir me manger dans la main comme des petits oiseaux, et j’en fais presque ce que je veux, tandis que lorsque j’essaie de les assembler dans l’air, ils se dérobent.

 

          La poésie ne lui avait été d’aucune utilité pour survivre. Peut-être avait-elle précipité son agonie. Les milliers de vers, en latin, en grec et en d’autres langues, qu’il gardait dans sa mémoire à la façon de plus grand des trésors ne l’avaient aidé en rien. Sans doute n’avait-il pas à l’inverse de moi, accepté de faire le chien. Oui, c’est sans doute cela. La poésie ne connaît pas les chiens. Elle les ignore. P 46

 

          Mais au fond, mourir d’ignorance ou mourir sous les milliers de pas d’hommes redevenus libres, il n’y a au vrai aucune espèce de différence. On ferme les yeux, et puis, il n’y a plus rien. Et la mort n’est jamais difficile. Elle ne réclame ni héros ni esclave. Elle mange ce qu’on lui donne. P 144

 

          Je suis l’égout, Brodeck. Je ne suis pas le prêtre, je suis l’homme-égout. Celui dans le cerveau duquel on peut déverser toutes les sanies, toutes les ordures, pour se soulager, pour s’alléger. Et ensuite, ils repartent comme si de rien n’était. Tout neufs. Bien propres. Prêts à recommencer. Sachant que l’égout s’est refermé sur ce qu’ils lui ont confié. Qu’il n’en parlera jamais, à personne. Et moi, pendant ce temps, Brodeck, je déborde, je déborde sous le trop plein, je n’en peux plus, mais je tiens. Je tente de tenir. P 164

 

          C’est bien la mort des autres, des êtres aimés, pas la nôtre, qui nous ronge et peut nous détruire. C’est contre elle qu’il a fallu que je lutte en brandissant la lumière noire des visages et des figures. P 191

 

Lu en janvier 2016

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Commentaires
N
je viens de le terminer... c'est émouvant, dramatique et consternant ... à croire qu'on ne tire jamais aucune leçon du passé !! fabuleux
N
livre très interessant
M
A lire aussi, la BD en 2 tomes de Manu Larcenet qui reprend cette oeuvre et l illustre à la perfection!
V
un roman très fort ... et marquant!
A
Une lecture marquante, en effet.
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