Je vous parle aujourd’hui d’une lecture savoureuse à souhait. Il s’agit du deuxième livre de Lydia Bonnaventure : « Frénégonde ».
Résumé
Nous sommes en hiver 1135, à Alzey petit village du palatinat du Rhin. Frénégonde qui tient une échoppe d’apothicaire vient d’être victime d’un vol et réveille tout le monde avec ses hurlements.
Essayant de découvrir qui est l’auteur de ce vol et dans quel but, elle décide de mener son enquête. Au même moment, Dame Anna vient lui rendre visite car elle mène une enquête sur la famille d’une nonne, Hildegarde qui n’est autre que la sœur de Frénégonde.
Dame Anna se fait agresser en quittant le village et les évènements vont s’enchaîner, nous entraînant sur les routes de la région, tandis que Thibald, l’officier, mène l'enquête.
Ce que j’en pense :
Un polar dont l’action se situe au Moyen-âge, quelle belle idée !!!
Le personnage central, Frénégonde, est une féministe avant l'heure, au caractère bien trempé, tonitruante, qui règne en maître sur son échoppe. Apothicairesse ! Ou Dame apothicaire, comme on veut, un métier sympathique ! elle est tellement bien décrite qu’on l’imagine manipulant ses plantes et ses fioles. Elle a son franc-parler, une gouaille qui fait qu’on l’aime tout de suite.
Hildegarde a bien existé et Lydia Bonnaventure utilise le fait que certains de ses frères et sœurs ne sont pas clairement identifiés pour créer une sœur virtuelle, notre héroïne pour conter cette histoire. Les deux sœurs sont l'antithèse l’une de l’autre pour notre plus grand plaisir.
Tous les personnages sont fouillés, creusés, qu’il s’agisse de Thibald l’officier qui mène l’enquête, dont l’histoire familiale est riche de secrets, de souffrances, Hildegarde ou de Gottfried, le fils de Frénégonde, amoureux transi, la mère supérieure et le mystérieux jongleur, entre autres…
J’ai aimé cette atmosphère, la façon dont l’auteur emploie les mots, le vocabulaire, les tournures de phrases de l’époque, et la société du Moyen-âge, l’importance de l’Eglise, la vie quotidienne du monastère. On est loin de la parodie « des Visiteurs »… Qui parle de nos jours d’apothicairesse, truandaille, oblate, enfançon… Un retour vers le passé à ce rythme-là, et sans caricaturen j’en redemande, c’est vraiment un beau voyage et je me serais volontiers invitée à leur table.
Il faut quelques pages pour s’imprégner de la langue, et ensuite c’est une lecture savoureuse qui nous attend, dans tous les sens du terme car les ripailles sont fort sympathiques, et une fois qu’on est transposé en 1135, la magie opère…
J’ai lu lentement pour faire durer le plaisir, sans me demander qui était le coupable et pourquoi, en allant de temps en temps faire un tour sur le site de Lydia Bonnaventure qui a donné sur son site des photos de Alzey et de la région, car elle a visité les lieux ; par contre j’ai lu les cinquante dernières pages d’une traite ; en immersion totale.
Je retiens une scène hilarante : l’enivrement au vin de messe !
Un bon polar, une belle écriture, des dialogues assez truculents (certains échanges entre Frénégonde et Thibald en particulier) un sacré travail de recherche car tout est vraisemblable … j’espère que l’auteure va continuer sur sa lancée…
Note : 8,5/10
http://www.lydiabonnaventure.com/mes-balades/allemagne/
L’auteur :
Née à Fontainebleau le 15/11/1972, Lydia Bonnaventure est diplômée de l’université de Perpignan en lettres modernes, spécialisée dans le Moyen-âge. Elle est aujourd’hui formatrice de français et d’histoire en Seine Saint-Denis.
On lui doit également : « La maladie et la foi au Moyen-âge » dont j’ai déjà parlé dans ce blog.
Extraits :
J’ai choisi des extraits qui ne dévoilent pas l’intrigue, mais seulement l’ambiance et le style :
Frénégonde et Eberhard avaient décidé d’un commun accord que le petit ne porterait pas le même prénom que son père. Ils trouvaient cette coutume peu utile et imaginaient les générations suivantes portant toutes le même patronyme. Et puis, une chose les ennuyait : un prénom offrait une identité, une personnalité à quelqu’un. Donner le même prénom à toute une descendance revenait à détruire cette identité.
Vous n’êtes pas sans savoir qu’elle était le dixième enfant de votre fratrie. Aussi, selon la coutume, elle devait être offerte à un monastère.
Il (l’évêque) était ensuite parti en voyage officiel pour essayer de régler les nombreuses discordes au sein des représentants de l’Eglise. A soixante-quinze ans, il commençait à en avoir ras la mitre de devoir se déplacer ainsi pour des conflits qui avaient tendance à s’étioler.
Pour une fois, elle avait peur. La justice n’était pas tendre et les erreurs étaient légion. On n’avait tôt fait de se retrouver avec une main ou une oreille en moins pour une poignée de cerises volées, alors un meurtre !
Tout ce petit monde reprit la route vers le monastère. Thibald et la margravine chevauchaient à l’avant. Ils étaient suivis par le personnel de cette dernière. Fermant la marche, Dame Anna tentait tant bien que mal de tenir sur sa mule, s’accrochant désespérément. Frénégonde ponctuait toutes les bosses et les creux du chemin par un cri strident. Au moins, se dit Thibald, si nous rencontrons quelques bêtes sauvages, elle les fera fuir !
Sa boîte crânienne était aussi vide qu’un lit de rivière asséché. Quelque part, cela arrangeait l’officier. Il ne serait pas embêté par les interrogations de ce trépané !
Lu en août 2016