Je vous parle aujourd’hui d’un livre qui m’a beaucoup ébranlée. J’ai lu beaucoup de romans qui traitent du Nazisme, de la deuxième guerre mondiale car cette période de l’Histoire me passionne. J’ai fait la connaissance de Boualem Sansal via la grande librairie et cet homme à la crinière blanche m’a fascinée d’emblée. En l’écoutant, on croirait entendre un vieux sage (je peux me le permettre, il n’a qu’un an de plus que moi). Donc, ce roman était pour moi…
Résumé
C’est l’histoire de deux frères dont le père est allemand, Hans Shiller, et la mère algérienne. L’aîné se prénomme Rachel (Rachid-Helmut) et l’autre Malrich (Malech-Ulrich). Tous deux ont été envoyés chez leur tante (Tata Sakina ), dans la banlieue parisienne. Ils ont peu de choses en communs, car Rachel a fait des études brillantes, il a un bon emploi, a épousé Ophélie, a une maison, bref tout va bien pour lui, alors que Malrich flirte avec la délinquance, et mène une vie désœuvrée sans but, avec ses copains de la cité.
Les parents sont restés dans leur village, Aïn Deb, pas loin de Sétif et ont trouvé la mort lorsque le village a été massacré par le GIA, en 1994 où Hans bénéficiait d’un statut spécial reconnu par la communauté.
Nos deux frères vont devoir entamer leur travail de deuil et ainsi découvrir qui était vraiment leur père, car en retournant dans la maison de ses parents, comme un pèlerinage, Rachel va tomber sur une valise …
Ce que j’en pense :
Il m’est très difficile de parler de ce livre. Je l’ai terminé, il y a plus d’une semaine et c’est une claque. J’ai presque peur de l’abîmer en en parlant… J’en étais environ, aux deux tiers quand les attentats de Paris ont eu lieu et j’ai eu besoin de faire une pause, car la sidération m’empêchait de lire, de me concentrer. Il y a un avant et un après.
J’ai beaucoup aimé l’histoire de ces deux frères issus d’un curieux mélange, un père Allemand, une mère Algérienne. Comment une vie (des vies en l’occurrence) peut basculer quand Rachel, en se rendant à Aïn Deb pour se recueillir sur la tombe de ses parents, découvre qu’ils figurent « sur la liste sous des noms différents, quoique conformes à la réalité ? Majdali est bien le nom de jeune fille de ma mère et Hassan le prénom que mon père s’était donné en se convertissant à l’Islam. Pourquoi son nom a-t-til été remplacé par son prénom ? En fait tout simplement, pourquoi le nom Schiller n’apparaît-il pas ? » .
On leur a enlevé leur identité, comme s’il n’y avait plus de traces de leur passage et il va découvrir que son père était en fait un monstre.
Ce livre est bien construit, l’auteur alternant le journal de Malrich et celui de Rachel, et l’hommage bouleversant rendu, au passage, à Primo Levi dont l’auteur cite un extrait de « si c’est un homme » complété par quelques vers rajoutés par Rachel. P 78-79
Tout m’a plu, l’histoire, l’Histoire et la façon dont Boualem Sansal, sa perception de l’horreur du nazisme, la comparaison avec le terrorisme en Algérie, fin des années quatre-vingt : comment un pays sous le joug d’une dictature communiste, athée par définition, a pu devenir islamisée en voulant ouvrir des mosquées pour un retour aux sources de la culture du pays est passée sous la coupe des islamistes. On peut parler de peste brune, (les chemises brunes des SS) et de peste verte, comme la couleur de l’Islam transformé en islamisme. Il n’est pas question dans le livre d’une peste rouge (la dictature communiste qui a précédé est déjà plus loin)
Il disait très joliment il y a quelques jours, à la télévision, que les Allemands étaient un peuple d’érudits, de lettrés, musiciens et autres qui à la fin des années trente était devenu nazi à 80%, alors que cela semblait inimaginable dans les années vingt… (il a dit aussi, dans le monde je crois, qu’il était habité par la peur en Algérie mais que dès qu’il atterrissait à Roissy, il se sentait en sécurité et que depuis les attentats du treize novembre il avait peur tout le temps…
Comment réagit-on quand on apprend que son père était un Waffen SS qui a participé à l’élaboration du Zyclon B, à l’organisation de la Shoah, et qu’il a réussi à s’enfuir, via les réseaux habituels pour les criminels de guerre et , via l’Egypte, se retrouver dans les rangs du FLN, (ses talents sont utilisés comme ceux de Barbie et autres comparses dans les dictatures d’Amérique latine) et à vivre avec cela sans culpabilité. Les fautes du père, la culpabilité vont s’effondrer sur Rachel, qui va étudier tout ce qu’il pourra trouver sur cette période de l’Histoire, revenir sur les lieux pour comprendre…
Comment vivre quand on est le fils d’un « bourreau » ? Peut-on même survivre ? En fait, on sait dès la première phrase que Rachel est mort, et que Malrich reconstruit la quête.
Ce livre pose la question de l’identité car les deux frères se retrouvent entre deux cultures, mais pour Malrich, on pourrait presque parler d’une prise de conscience de qui il est réellement, et on le voit progresser, grandir, se documenter aussi, lire comme son frère, alors qu’il était en échec et que la vie glissait sur lui… Il fait le lien entre peste brune et peste verte, de façon lucide car l’assassinat de Nadia sous la houlette d’un Imam intégriste lui a déjà ouvert les yeux. Sa vie va prendre un sens…
Vous avez deviné, je suis sous le charme de son écriture, de sa voix, de ses analyses (et pas parce que je pense de façon assez similaire, il exprime tellement bien les faits, les émotions que, même si je n’étais pas d’accord, le charme agirait. Autant la voix est douce, les termes mesurés, autant l’écriture est percutante.
Je pars un peu dans tous les sens en rédigeant ma critique, car l’émotion est toujours là, en le feuilletant pour relever des extraits à partager…
C’est le premier roman de Boualem Sansal que je lis et je sais que je vais tout dévorer. « 2084 » est dans ma liste depuis sa sortie, mais maintenant j’ai peur de le lire, car je suis pessimiste de nature, dit mon entourage, réaliste selon ma propre analyse et je redoute justement le scénario qu’il y décrit…
Il faut lire ce livre, il est extraordinaire, bouleversant et laisse le lecteur sidéré, presqu’exsangue mais laisse de la place à l’espoir…
Coup de cœur donc.
Sur ce lien un fort belle analyse : http://www.lecture-ecriture.com/2592-Le-village-de-l'Allemand-ou-le-journal-des-fr%C3%A8res-Schiller-Boualem-Sansal
L’auteur :
Boualem Sansal, (en arabe : بوعلام صنصال), né le 15 octobre 1949, à Theniet El Had, petit village des monts de l’Ouarsenis, est un écrivain algérien d'expression française, principalement romancier mais aussi essayiste, censuré dans son pays d'origine à cause de sa position très critique1 envers le pouvoir en place. Il habite néanmoins toujours en Algérie, considérant que son pays a besoin des artistes pour ouvrir la voie à la paix et à la démocratie. Il est en revanche très reconnu en France et en Allemagne, pays dans lesquels ses romans se vendent particulièrement bien, et où il a reçu de nombreux prix. Source Wikipédia
On lui doit : « Petit éloge de la mémoire », « Le serment des Barbares » et bien sûr cette année, « 2084 »
Boualem Sansal - Le village de l'allemand (1)
https://youtu.be/uqKLHNNpsGc
https://youtu.be/TLQ9T-KDQeA
Extraits :
« Je n’avais qu’une envie : mourir. J’avais honte de vivre. Au bout d’une semaine, j’ai compris, son histoire est la mienne, la nôtre, c’est le passé de papa, il me fallait à mon tour le vivre, suivre le même chemin, me poser les mêmes questions et, là où mon père et Rachel ont échoué, tenter de survivre. Je sentais que c’était trop gros pour moi. J’ai senti aussi très fort, sans savoir pourquoi, que je devais le raconter au monde. Ce sont des histoires d’hier mais, en même temps, la vie c’est toujours pareil et donc ce drame unique peut se reproduire. P 15
Pour qui fuit, l’idée même du refuge est un danger, il y voit le piège dans lequel il finira sa course. P 38
Je constatais avec bonheur que mon père était vénéré et ma mère regardée comme une bienheureuse. J’en étais flatté. On dit que les défunts laissent derrière eu une réputation et un peuple pour la juger sans merci. Mes parents avaient reçu le quitus. P 42
Sommes-nous comptables des crimes de nos pères, des crimes de nos frères et de nos enfants ? Le drame est que nous sommes une ligne continue, on ne peut en sortir sans la rompre et disparaître. P 63
… Plus on se prépare dans la vie, moins on est prêt. On se fait tant d’idées que la surprise est totale. Sortis de la routine, nous voilà comme des aveugles privés de leurs cannes. P 69
Comment condamner l’un et honorer l’autre, haïr le bourreau d’hier, un inconnu pour moi, et aimer le père, papa, la victime d’aujourd’hui, victimes de ceux-là dont nous sommes la cible à présent ? P 138
Rachel a commencé à réfléchir. Il a compris que l’islamisme et le nazisme, c’était du pareil au même. Il a voulu voir ce qui nous attendait si on laissait faire, comme on a laissé faire en Allemagne, à Kaboul et en Algérie où les charniers islamistes ne se comptent plus, comme on laisse faire chez nous, en France où mes gestapos islamistes ne se comptent plus. P 147
J’étais dans la peau et le quotidien squelettique d’un déporté qui attend la fin et j’étais dans la peau de mon père, jaloux de son sacerdoce, qui apporte la fin. Les deux extrêmes étaient réunis en moi pour le pire. Comme les mâchoires d’un étau fermé. P 172
Lu en novembre 2015