Je vous parle aujourd’hui d’une auteure qui me tente depuis longtemps mais, que je ne m’étais pas encore décidée à aborder. Il s’agit de Claudie Gallay. Il y avait toujours embouteillage à la médiathèque, et le jour où j’ai voulu emprunter « Les déferlantes », j’ai eu dans les mains un autre livre très demandé qui a emporté la décision. C’était en début d’été et « L’affaire Harry Québert » était en fin disponible…
Ysabel, mon amie Babeliote, qui se reconnaîtra m’a permis de lire « Seule Venise » et bingo, une belle rencontre…
Résumé
C’est l’histoire d’une femme qui vient d’être abandonnée par son compagnon, et sombre dans un profond désespoir. Elle liquide son compte en banque, quitte tout, direction Venise en plein hiver…
Revenir dans une ville où l’on a été heureux, sur les traces de l’Amour, qu’elle cherche encore au travers de ses rencontres, arpentant chaque coin et recoin de la ville, elle nous entraîne dans sa quête et l’on va s’installer avec elle dans la pension de famille, plus ou moins confortable.
On va partager ses promenades, ses rencontres : un vieux prince russe en fauteuil roulant, un couple étrange, une danseuse Carla et son amant, Valentino pour qui amour ne signifie parfois que possession de l’autre, passion donc une porte ouverte vers la violence. Peu à peu, l'histoire s'installe, et on s'installe en elle, comme on se glisse dans les méandres de Venise.
Ce que j’en pense :
Je venais de déambuler dans Paris, en 1942 avec Modiano, et à peine remise de mes émotions, j’ai mis mes pas dans ceux de cette femme qui m’a fait découvrir Venise en hiver, sous la pluie, loin des touristes mais avec ses couleurs qui n’appartiennent qu’à elle. Je l’ai visitée dans les pas de Jean d’Ormesson, il y a des années. Il parle si bien de Venise et de l’amour que les deux sont liés dans ma mémoire. La douane de mer, la lagune, San Marco…
Comment rester insensible au charme du vieux prince russe en fauteuil roulant, qui n’a jamais fait le deuil de son amour d’adolescent Tatiana, bien qu’ayant épousé une femme de son rang dont il a eu des enfants. Il apprend à notre héroïne mystérieuse (comment l’appeler autrement puisque l’auteur ne lui a pas donné de prénom) à apprécier les choses, le vin par exemple, qu’il faut garder en bouche, goûter avant de l’avaler.
Il lui apprend aussi que l’exactitude est la politesse des rois, il a été en retard une fois et s’en est voulu toute sa vie, car tout a été chamboulé… comment apprécier la musique…
Le libraire, Dino, quant à lui, va lui apprendre bien-sûr les livres, et aussi des mots, l’amour de Venise qui lui fait découvrir outre Marguerite Duras, Tolstoï, Rilke et autres auteurs qui hantent Venise, et la peinture avec Zoran Music, rescapé des camps de concentration, …
Il y a aussi Luigi, qui tient la pension, fait la cuisine pour ses hôtes, attendant sa fille pour les fêtes et décorant le sapin de Noël pour l’accueillir… Clara qui ne vit que pour la danse...
Ce sont tous des écorchés vifs, malmenés par la vie…
J’avais aussi des ampoules aux pieds, tant Claudie Gallay m’a fait découvrir des endroits splendides et méconnus, le peintre Zoran Music ; elle a une façon particulière de nous faire voyager, dans les valises de l’héroïne qui est parfois exaspérante dans sa façon d’aborder les gens, ses questions surprenantes ( « Qui est Euripide ? » ) voire dérangeantes, son manque de pudeur dans sa relation avec les autres, entrant chez eux presque par effraction, en trouvant cela parfaitement normal.
Ce n’est pas une personnalité qui m’attirait au départ, et pourtant j’ai eu envie de la suivre, de la voir s’éveiller aux autres, trouver un sens à la vie, tomber amoureuse. Elle s'oublie peu à peu dans sa rencontre avec les autres et se laisse porter par Venise, par les arts, le brouillard, la pluie, le chocolat chaud, les chats...
Je ne suis pas passée loin du coup de foudre avec ce livre que j’ai beaucoup aimé, par son atmosphère si particulière, impossible à raconter d’ailleurs, et qui me fait penser à Marguerite Duras. Qu’il s’agisse de la ville en hiver, de l’eau omniprésente, tout est intense et remue en profondeur, avec ces phrases courtes, presque lapidaires parfois, entre lesquelles des instants d’émotion pénètrent par effraction eux-aussi… La nostalgie est au rendez-vous…
C’est le premier roman de Claudie Gallay, et déjà l’envie de renouer avec ce style si particulier vient me titiller… comme la bonne odeur du chocolat, boisson dont l’héroïne abuse avec gourmandise…
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L’auteur :
Née en 1961, Claudie Gallay à Bourgoin-Jallieu.vit dans le Vaucluse. Elle a publié aux éditions du Rouergue « L’Office des vivants » (2000), « Mon amour, ma vie » (2002), « Les Années cerises » (2004), « Seule Venise » (2004, prix Folies d’encre et prix du Salon d’Ambronay), « Dans l’or du temps » (2006) et « Les Déferlantes » (2008, Grand Prix des lectrices de Elle).
En parallèle de son activité d'écrivain, elle exerce à temps partiel le métier d'institutrice
Aux éditions Actes Sud : « L’amour est une île » (2010) et « Une part de ciel » (2013).
Un beau lien vers l'oeuvre de Zoran Music :
http://www.claude-bernard.com/artiste.php?artiste_id=62
Extraits :
C’est un vin de patience. Comme cette ville. Mon père disait que le savoir commence comme ça, en appréciant le bon vin. P 72
Chaque vin que vous buvez doit vous rappeler un vin déjà bu, un parfum, une terre. De même que chaque chose que vous apprenez, doit se rattacher à quelque chose que vous savez déjà. C’est ainsi que le savoir se construit. P 72
La plus belle saison pour découvrir Venise c’est l’hiver, à cause de la lumière. Regardez comme ça vibre, dans le marbre et sur les fresques. Si vous avez de la chance, vous verrez de la neige P 119
A la prochaine marée le vent va pousser les eaux de l’Adriatique et tout va déborder dans les canaux. C’est ça l’aqua alta.
Il est des êtres dont c’est le destin de se croiser. Où qu’ils soient. Où qu’ils aillent. Un jour, ils se rencontrent. P 157
Cet amour a été une obsession, je n’ai jamais réussi à m’en défaire. P 174
… Et que c’est cela la force des puissants, enlever aux plus faibles le goût d’apprendre. P 178
- Prince, pourquoi avoir choisi Venise ?
- … parce que seule Venise me console de ce que je suis vraiment.
- Qui êtes-vous vraiment ?...
- Un homme en exil. P 194
Lu en octobre 2015