Je vous parle aujourd’hui d’un livre que j’ai découvert grâce à François Busnel lors d’une soirée de La grande Librairie et qui m’a immédiatement tentée. Cette émission est une ruine pour mon porte-monnaie car, en général, je suis séduite par au moins un des auteurs présents sur le plateau.
Il s’agit donc du dernier livre de Jean-Philippe Blondel : « Un hiver à Paris »
Résumé
C’est la fin des vacances scolaires ; Victor va rejoindre son poste de professeur d’anglais dans l’établissement où il exerce depuis vingt ans. A priori, une rentrée comme les autres, mis à part le fait que sa fille entre dans ce lycée, cette année.
Les bagages défaits, il se plonge dans la lecture du courrier et tombe sur une lettre dont il reconnaît l’écriture. Il s’installe tranquillement pour la lire, alors que l’anxiété, l’émotion s’emparent de lui. La lettre a été envoyée par Patrick Lestaing. Il vient de lire un ouvrage de l’auteur et cela lui a fait penser à son fils Matthieu et au drame qui s’est produit.
Nous sommes au début du XXIe siècle et voilà que Victor bascule trente ans en arrière. C’est le début de l’été, il a réussi son bac brillamment. Il vient d’être admis en hypokhâgne, à Paris, dans le prestigieux lycée D. il quitte alors sa province, ses parents pour se retrouver seul dans la capitale, dans son petit studio.
Les conditions de vie sont dures, il n’a pas beaucoup d’argent, donc mène une vie d’ascète ou presque. Après une année de travail intensif, sans aucune vie sociale, il finit par être reçu douzième, ce qu’il considère comme un coup de chance car il est moins brillant que certains, mais son originalité a séduit quelques professeurs.
La rentrée suivante, il est devenu fréquentable puisqu’il à été reçu, donc les autres le regardent différemment, tel Paul Rialto lui parle, lui accorde un peu d’intérêt et parmi les étudiants de première année, se trouve Matthieu. Il vient lui-aussi de Province et il est victime de la même ségrégation que Victor, on peut même parler d’ostracisme
Ils se croisent, s’abordent timidement, chacun étant aussi réservé que l’autre, partagent leurs cigarettes, les JPS et discutent un peu. Victor décide de l’inviter au restaurant pour son anniversaire, mais il n’aura pas le temps de le lui demander quand survient le drame. Harcelé par un professeur qui le dénigre sans cesse, il quitte le cours en criant « connard », et enjambe la balustrade pour s’écraser aux pieds des escaliers.
En dépit des réactions du professeur qui veut lui interdire de sortir, Victor quitte sa salle de cours pour aller lui porter secours, alors que tout le monde reste là, figé, sidéré par ce qui vient de se passer.
Insignifiant, transparent jusqu’alors, Victor va devenir, celui qui connaissait Matthieu, qui s’est porté à son secours et les relations entre les protagonistes changent…
Ce que j’en pense :
C’est le premier roman de Jean-Philippe Blondel que je lis, je le connaissais de nom, mais je n’avais pas été tentée jusque là par un de ses livres. Je me suis sentie très proche de Victor (derrière lequel se cache sûrement Jean-Philippe).
Il raconte très bien la dureté des classes préparatoires, le travail acharné, les professeurs exigeants, notamment Mr Clauzet, qui est maltraitant, insultant les élèves, les dévalorisant sans cesse, méprisant leur travail, mais aussi, les notes sévères, la montagne de travail à abattre, la compétition car, en fin de l’année d’hypokhâgne, seuls les douze premiers au concours seront retenus pour passer en deuxième années.
L’amitié n’est pas de règle quand il y a une telle compétition. La solitude occupe une place importante. C’est déjà difficile de quitter sa ville de province pour se retrouver seul dans la capitale, mais quand on côtoie des étudiants brillants certes, mais issus de milieu plus favorisés, ayant pignon sur rue, connaissant les personnes qu’il faut, la lutte est inégale. La différence de niveau social se fait sentir : d’un côté l’élite de la nation, de l’autre le petit provincial.
Il y a des privilégiés, tel Paul Rialto, brillant, bosseur, sélectif en amitié, chacun travaille dans son coin, des castes… En gros, des purs-sangs face à un cheval de labour, ces beaux percherons massifs, qui abattent un travail considérable mais courent moins vite, sont moins affutés.
C’est plus facile quand on vient d’un milieu aisé, la culture générale est présente, on l’absorbe dès le biberon alors qu’un fils d’ouvrier ou de paysan part avec un handicap, il a tout appris tout seul ou presque. Et parfois, cela entraîne de la frustration, voire de la honte.
Jean-Philippe Blondel insiste aussi sur ce qui fait que quelqu’un de transparent peut devenir intéressant uniquement parce qu’il a réussi un concours, et devenir ainsi quelqu’un du sérail donc fréquentable. Après le drame, il devient « celui qui a connu Matthieu », ce qui lui vaut une aura particulière, il devient le héros du drame, donc tout le monde veut lui parler, le retrouver au café, flirter avec lui...
Ses parents ne le comprennent pas, et il n’a pas envie de se confier à eux. Ils sont dans un monde tellement différent. Un fils qui se déplace partout avec ses piles de livres, c’est étrange. Ils ne comprennent pas très bien en quoi consistent ses études et ce qu’il va faire après.
Comment faire son deuil dans une famille de taiseux, où on ne dit pas ses émotions, ce serait un signe de faiblesse et ce serait se fragiliser encore plus. Ainsi, Victor a du mal à parler de son ressenti, de sa peine à ses parents. Il les tient à distance, espaçant les visites à la maison familiale, sous prétexte de révisions. De leur côté, ils ne savent pas comment l’aborder.
En fait, il ne peut parler qu’avec Patrick, car ils ont connu chacun une part de Matthieu et veulent chacun en connaître plus. Un sentiment de culpabilité est présent chez tous les deux. L’un cherche un fils, l’autre est en quête d’un père qui le comprenne…
Les parents de Matthieu ayant divorcé, Patrick se culpabilise car il se demande si c’est le divorce qui l’a fragilisé (Matthieu ne disait rien certes, mais il est peut-être passé à côté de quelque chose ?) … Victor lui, se demande s’il aurait pu empêcher cet acte désespéré en ayant établi une vraie relation d’amitié.
L’auteur soulève une autre question : est-ce Victor qui ne sait pas se faire des amis ou est-ce le système des classes préparatoires qui rend l’amitié impossible ? Est-ce que ces bêtes à concours peuvent être humains, capables de sensibilité, ou sont-ils trop narcissiques, formatés pour cela ? Et une question subsidiaire : le mot « Connard » s’applique-t-il seulement au professeur ?
Les autres personnages sont intéressants eux-aussi, tel Paul Rialto issu d’un milieu aisé, où s’est produit un évènement grave. Paul est lucide sur sa situation, il assume son statut de bête de concours pour satisfaire ses parents. Il a opté pour une classe préparatoire mais il a choisi les lettres.
On croise aussi Armelle, étudiante dans la même classe que Matthieu, (elle est même assise à côté de lui en cours) qui devient la petite amie de Victor. Elle n’est pas très attachante, car trop superficielle, préoccupée uniquement par les apparences.
Donc, j’ai beaucoup aimé ce livre, car l’écriture est plaisante, les phrases sont courtes, parfois presque chirurgicales, les chapitres, courts, aussi qui défilent car on veut en savoir plus. Jean-Philippe Blondel m’a entraînée avec lui dans son histoire, m’identifiant tour à tour avec les différents personnages et j’ai hâte de le relire et de découvrir ses autres romans.
J’ai eu du mal à faire la critique, car tout m’a plu, l’intrigue, les différentes personnalités, et j’ai l’impression de ne pas être très claire, tant les sujets soulevés sont importants. Il est difficile de ne pas révéler trop de choses. Une bonne étude psychosociologique, mais il manque quelque chose pour en faire un coup de cœur.
Note : 8/10
L’auteur :
Jean-Philippe Blondel est né en 1964 à Troyes, en Champagne-Ardenne.
Marié, père de deux enfants, il enseigne l’anglais en lycée et vit près de Troyes. Il publie en littérature générale et en littérature jeunesse depuis 2003
Il a publié plusieurs romans pour adultes avant de se lancer en 2007 dans l’écriture de son premier toman pour la jeunesse : « Un endroit pour vivre » publié par Actes Sud Junior.
Ensuite il signera « Rebond » en 2009 puis « Blog » en 2010.
Plus récemment : « 6h 27 »
Extraits :
« J’étais le douzième. Celui sur lequel personne ne misait un kopeck… Je n’ai même pas sauté de joie en apprenant les résultats du conseil de classe. Après tout, cela signifiait encore une année de translucidité dans cet établissement où je n’étais rien. P 33
On se contentait de tirer sur nos JPS noires en silence. C’est ce qui nous avait rapprochés, au départ. La marque de nos cigarettes. Parfois on se contente de pas grand-chose.
Je me demandais si nous finirions par aller boire un verre ensemble – pour nous soûler et vomir tout ce que nous avions sur le cœur. P 39
Clauzet était l’un des pires spécimens d’enseignants que j’avais rencontrés… Persuadé aussi d’enseigner à l’élite mondiale qui devait néanmoins être traitée comme n’importe quel étudiant de classe préparatoire, voire comme tout élève de collège ou de lycée : avec un dédain affiché et, de temps à autre, une syllabe de reconnaissance ou d’encouragement, telles des miettes jetées à un pigeon. Il était célèbre pour ses réparties blessantes, ses saillies drolatiques qui crucifiaient ses victimes. P 39
Je commençais à comprendre que, plus tard, j’aimerais enseigner moi-aussi. Transmettre. Pas seulement des savoirs, mais aussi un décryptage du monde et des codes sociaux et culturels qui permettent de s’adapter ou de s’intégrer à n’importe quel groupe préexistants. P 56
Le proviseur a hoché la tête. Il me jaugeait. Il se rendait compte que je tenais peut-être d’autres secrets, la clé qui ouvrirait le coffre-fort et livrerait le code du suicide. Explicable. Il aurait fallu que ce geste soit explicable. P 115
Parfois, on ne voit dans les promesses des autres que le chemin qu’on a fait soi-même. P 189
Essayez la littérature, plutôt. Mieux vaut devenir le maître des illusions que le jouet de ceux qui vous entourent. P 194
Et puis, cette phrase, tellement maladroite : « Nous t’aimons comme tu es ». Le « comme tu es » qui signifie la différence, l’exclusion silencieuse et bienveillante. P 214 »
Lu en février 2015