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Les livres d'Eve
5 novembre 2014

"L'incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pélerinage" de Haruki MURAKAMI

Aujourd'hui, dans le cadre de cette rentrée littéraire 2014, je vous parle du deuxième roman de cet auteur  japonais  dont j'ai tant apprécié, il y très peu de temps "Kafka sur le rivage" :

 

 

L'incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pélerinages de Haruki Murakami

 

 

 

 

Résumé

 

          Tsukuru Tazaki vient de rencontrer Sara et leur relation devenant sérieuse, celle-ci lui demande de parler de lui et notamment de son passé car elle pressent une souffrance enfouie.

          C’est ainsi qu’il va raconter l’histoire de cinq amis qui se sont rencontrés durant l’adolescence et sont devenus inséparables, ne se cachant rien, engagés à ne pas avoir d’histoire d’amour ou de sexe entre eux et avec le but d’exercer des activités bénévoles.

          On a ainsi : Kei Akamatsu (pin rouge), Yoshio Ômi (lac bleu), Yuzuki Shirane (racine blanche), Eri Kurono (prairie noire), sauf Tsukuru, dont le nom signifie ''celui qui construit'', un nom de bâtisseur, mais totalement incolore, ce qui va devenir sujet de plaisanterie entre eux. Ils habitent Nagoya, où ils étudient au lycée. Désormais, on aura Rouge Bleu, Noire et Blanche et Tzukuru.

          Un jour, il faut partir à l’université, et alors qu’ils s’étaient promis de rester à Nagoya, Tzukuru part à l’université de Tokyo. Fasciné depuis l’enfance par les gares il veut devenir architecte afin  d'en construire , et va tenter le difficile concours d’entrée qu’il réussit. 

          Pendant deux ans, il va rentrer souvent à Nagoya tous les week-ends jusqu’au jour où ses amis ne viennent pas le chercher à la gare. Il téléphone à chacun et l’un d’eux dit qu’il ne doit absolument jamais plus entrer en contact avec les autres car quelque chose de grave s’est produit, mais Tzukuru ne sait pas quoi et surtout il ne demande pas d’explication, acceptant le verdict.

          Il entre alors dans une dépression profonde, fasciné par la mort, il maigrit énormément, et pendant six mois il devient un  spectre ambulant.

          Peu à peu il s’en sort, faisant énormément de sport (il nage 1 500 mètres tous les jours) et c’est à la piscine qu’il rencontre le seul ami qu’il aura jamais Haida (dans son nom, on retrouve le couleur grise), ils deviennent très proches.

          Mais, la rupture avec ses amis va avoir des conséquences sur toute sa vie. Va-t-il écouter Sara et essayer de  les revoir ? C’est ce que le roman nous fait découvrir.

 

Ce que j’en pense :

 

 

          Tsukuru est un personnage étrange auquel on s’attache très vite, car on voit tout de suite sa fragilité, et on a envie de le connaître davantage donc on le suit dans sa quête de vérité. Il s’est enfermé dans la solitude et un travail qu’il aime, construire ou rénover des gares après avoir flirté avec la mort quand ses amis l’ont rejeté. Pendant ces seize années de solitude, seule la musique de Liszt, une œuvre en particulier, ainsi que le fait de se réfugier dans une gare, n’importe laquelle en fait, en regardant les trains passer, les voyageurs partir, arrivent à apaiser son angoisse, sa mélancolie même.

          La partition de Liszt, « Années de pèlerinage » interprétée par Lazar Berman  qu’il écoute sur de vieux trente trois tours, sert de fil rouge au livre. Liszt a composé cette œuvre, lors d’un voyage en Suisse, Italie et l’a remodelée trente ans plus tard, comme Tsukuru est revenu sur son passé pour résoudre l’énigme de son rejet par les autres membres du groupe, seize ans plus tard. Dans  les deux cas, le passé est clarifié et recomposé à la lumière de l’adulte. Il s’agit d’un pèlerinage dans les deux cas. Et aussi de la mélancolie, dans les deux cas : mal du pays évoque la nostalgie, la tristesse comme un écho à la mélancolie de Tsukuru.

          Ce livre a été extrêmement travaillé par son auteur, rien n’est laissé au hasard, tant dans les personnages qui sont complexes dans leur personnalité que dans l’histoire elle-même. Noire a une personnalité forte, une intelligence vive et excelle dans les matières littéraires, Blanche d’une grande beauté mais fragile,  joue du piano et notamment « le mal du pays » qui appartient « aux années de pèlerinage», elles sont très proches l’une de l’autre.

          Rouge est brillant à l’école mais ne supporte pas l’échec qui le met dans des colères folles et Bleu, rugbyman de talent qui stimule son équipe en transformant ce qui pouvait être un échec ou une défaite de son équipe en quelque chose de positif. Tsukuru, qui n’a pas de couleur dans son nom se trouve insignifiant par rapport aux autres, comme si ne pas avoir un nom de couleur ne pouvait que rendre la vie inintéressante.

          Les couleurs (ou la couleur en général) ne doivent rien au hasard non plus. Noire et blanche ont chacune leur caractère et l’auteur pousse la réflexion jusqu’aux touches du piano, les noires et les blanches qui sont très pures, très intenses sur le piano et aussi différentes les unes des autres que le sont les deux héroïnes.

          On pourrait dire qu’on est loin de « Kafka sur les rivage » où l’histoire est basée sur l’onirisme, l’imagination. Mais en fait pas temps que cela. Ici on a aussi un voyage, mais il ne situe pas dans le virtuel, c’est un voyage vers l’intérieur du héros qui recherche pourquoi les traumatismes du passé qu’il croyait avoir dépassés en les enfouissant très profondément dans sa mémoire, sont à l’origine de ses difficultés dans sa vie d’aujourd’hui, notamment dans sa vie amoureuse.

          Dans ce roman aussi, le rêve est important. Tsukuru fait des rêves érotiques, impliquant Blanche et Noire, ou des cauchemars comme on en trouvait dans Kafka, et on retrouve la même fascination pour le sexe, la nudité, avec des détails très concrets mais jamais de vulgarité dans l’écriture, (l’obsession de la propreté aussi).

         C’est un livre très fort, qui fait réfléchir en même temps qu’il nous emmène dans une belle promenade, au Japon (retour vers Nagoya) et en Europe où il n’hésite pas à aller retrouver Noire pour avoir l’explication, lui qui n’est jamais sorti du Japon. Il le fait à la demande de sa copine avant de s’engager dans une relation amoureuse stable, mais il est convaincu qu’elle a raison, il ne le fait pas pour lui faire plaisir.

          Vous l’aurez compris, c’est mon premier coup de cœur parmi les romans de la rentrée littéraire. J’aime profondément le style de cet auteur, ses descriptions, sa sensibilité quand il évoque la musique et les blessures de ses héros. C’est le deuxiéme roman que je lis de cet auteur et je suis encore plus sous le charme que pour « Kafka sur le rivage » car Murakami est allé encore plus loin dans la réflexion. Son roman est bien construit, ciselé même, chaque personnage, chaque ressenti, chaque action, tout a été sculpté, comme mitonné sur le coin du feu.

          En espérant bien qu'il recevra un prix dans la  catégorie "Etrangers" et que ma critique vous aura convaincus...

 

Note : 9,5/10     

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L’auteur :

  

 

Haruki Murakami 2

Né en 1949 à Kyoto et élevé à Kobe, Haruki Murakami a étudié le théâtre et le cinéma, puis a dirigé un club de jazz à Tokyo, avant d'enseigner dans diverses universités aux États-Unis. En 1995, suite au tremblement de terre de Kobe et à l'attentat du métro de Tokyo, il décide de rentrer au Japon.

 

Plusieurs fois favori pour le prix Nobel de littérature, Haruki Murakami a reçu le prestigieux Yomiuri Prize, le prix Kafka 2006, le prix de Jérusalem de la Liberté de l'individu dans la société 2009 et le grand prix de Catalogne 2011.

Haruki Murakami 2

 

Traducteur de Fitzgerald, Irving et Chandler, il rencontre le succès avec son premier livre, "Écoute le chant du vent"  en 1979, à paraître chez Belfond), qui lui vaut de remporter le prix Gunzo. Suivront, notamment, "La Ballade de l'impossible", "L'éléphant s'évapore" (Seuil, 1998 ; rééd. Belfond, 2008), "Chroniques de l'oiseau à ressort" (Seuil, 2001 ), "Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil" (Belfond, 2002, "Après le tremblement de terre" (10/18, 2002), "Les Amants du Spoutnik" (Belfond, 2003 ; ), "Kafka sur le rivage" (Belfond, 2006 ; ), "Le Passage de la nuit" (Belfond, 2007) et bien-sûr la trilogie  "1Q84"...

 

 

 

 

Extraits :

 

          Et bien entendu, Tsukuru Tazaki se sentait heureux, et même fier, d’être lui aussi un côté indispensable du pentagone. Il aimait ces quatre amis, et, plus que tout, il aimait la sensation d’unité que le groupe lui procurait. Semblable à un jeune arbre qui aspire ses éléments nutritifs de la terre, il recevait du groupe la nourriture dont il avait besoin en cette période de puberté, comme un aliment précieux nécessaire à sa croissance ou comme une source de chaleur qu’il conservait en lui pour les périodes de disette. P 21

 

          Tu veux cacher tes souvenirs le mieux que tu peux, les ensevelir dans une fosse profonde, il te sera impossible d’effacer l’histoire, affirma Sara en le regardant droit dans les yeux. Tu ferais mieux d’y réfléchir. On ne peut pas effacer l’histoire ou la réécrire. Ce serait comme vouloir effacer sa propre existence. P 45

 

          Dans ces moments-là, il était à la fois lui et pas lui… lorsque la souffrance devenait insupportable, il se séparait de son corps. Et, depuis un lieu sans souffrance situé légèrement à l’écart, il observait Tsukuru Tazaki en train de résister à la douleur. S’il se concentrait suffisamment, ce n’était pas quelque chose d’impossible à accomplir. P 48

 

          La jalousie, du moins telle que Tsukuru l’avait conçue dans son rêve, est la prison la plus désespérée du monde. Parce que c’est une geôle dans laquelle le prisonnier s’enferme lui-même. Personne ne le force à y entrer. Il y pénètre de son plein gré, verrouille la porte de l’intérieur puis jette la clé de l’autre côté de la grille. Personne ne sait qu’il s’est lui-même emprisonné. P 55

 

          Pour penser librement, il faut s’éloigner du moi gorgé de chair. Sortir de la cage étroite de son propre corps, se libérer de ses chaines et s’envoler vers le domaine de la logique pure. C’est dans la logique qu’on trouve une vie naturelle et libre. Cette liberté est le cœur même de la pensée. P 75

 

          Le corps humain est une structure fragile. C’est un système fort complexe qu’un rien suffit à le détraquer. Et une fois abîmé, dans la plupart des cas, il est bien difficile de le réparer. P 95

 

          Nous étions des adultes, chacun menait sa propre vie. Voilà tout. Nous n’étions plus des lycéens naïfs. Pourtant, je t’assure, c’était triste de voir que ce qui avait tant compté autrefois perdait peu à peu de ses couleurs et finissait même par disparaître. Alors que nous avions passé ensemble des années si vivantes. P 181

 

          … tu ne trouves pas qu’il y a là un grand paradoxe ? Dans le cours de notre vie, nous découvrons notre vrai moi. Et, au fur et à mesure que cette découverte se fait, nous nous perdons. P 211

 

          Le cœur de l’homme est un oiseau de nuit ; il reste calme dans l’attente de quelque chose, et, le moment venu, il s’envole droit vers sa destination. P 265

 

 

 

Lu en octobre  2014

 

challengerl2014

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Commentaires
L
Carrément un coup de coeur ! Je l'ai laissé de côté, mais je vais le remettre sur le dessus vite fait, car Kafka sur le rivage est un livre que j'adore !
P
Non seulement ta critique est convaincante mais tes extraits bien choisis. Cet auteur ne m'attirait pas, je viens de changer d'avis, merci !
L
Encore un qu'il faut que je lise !
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