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Les livres d'Eve
14 juin 2014

"La lettre à Helga" de Bergsveinn BIRGISSON

Encore une pépite? je crois bien !!!! J'ai dû attendre longtemps pour pouvoir le lire mais ....

 

la lettre à Helga

 

Résumé

 

Bjarni revient de la maison de retraite pour passer l’été chez lui et la fenêtre de sa chambre plonge sur la ferme où habitait autrefois ses amis Helga et son mari décédé d’un cancer l’hiver précédent. Sa femme est morte, il y a quelques mois aussi dans des conditions difficiles car sur les cinq années qu’a duré sa maladie, elle en a passé quatre et demie à vouloir mourir er à tourmenter Bjarni.

Il décide d’écrire une lettre à Helga, durant laquelle on en saura plus, sur toute son existence, la vie en Islande et ses difficultés au début du XXe siècle, ses relations avec Helga et son mari, avec Unmur et comment il exerçait son métier d’éleveurs de moutons à l’époque.

 

Ce que j’en pense :

 

C’est un joli roman, bien écrit, qui nous fait découvrir ce pays mystérieux qu’est l’Islande, les conditions de vie très dures, les méthodes d’élevage et de soins des bêtes qui laissent pantois les agriculteurs de notre époque alors que ces paysans étaient pleins de sagesse et de respect de la nature, cette nature sauvage qui nous aime si on la respecte.

L’auteur a choisi la lettre comme mode d’expression, ce qui permet de voir évoluer tant les conditions de vie que les personnages et surtout les sentiments.

Bjarni est un personnage attachant, il  a 90 ans et peut donc s’exprimer sans retenue ni censure car la mort est proche. Il peut parler de son amour pour cette femme qui a duré pendant toute sa vie d’adulte, qu’il a mis du temps à reconnaître, à admettre. Il lui a été difficile de choisir l’amour car il y a d’abord ses hésitations entre l’amour et le devoir (comment peut-il abandonner son épouse Unmur mutilée par une intervention chirurgicale qui la rend stérile à jamais et donc acariâtre, jalouse de Helga qui, elle, peut avoir des enfants.

Il y a aussi l’autre choix : partir avec Helga, c’est quitter sa ferme, dans la famille depuis des générations et perdre cette amour de la terre et des animaux, s’occuper de ses brebis, de son mâle vedette, de cette vie simple et écologique pour aller à Reykjavik, la capitale, pour un travail sans intérêt dans l’anonymat alors que chez lui, tout le monde se connaît, ce qui entretient les cancans, les railleries sur son adultère. Il aurait eu le sentiment de trahir ses ancêtres « quoi qu’il advint, je savait que mon âme était ici et que je ne l’emporterais pas à Reykjavik » P 78

C’était beaucoup plus compliqué à l’époque, il y avait les règles intransigeantes de la société, les tabous. Il n’a jamais pu faire le choix et a vécu une vie pleine mais en recherchant Helga toujours pour s’en éloigner dès qu’il pourrait s’en rapprocher et construire quelque chose avec elle.

Les expressions sur les relations amoureuses entre hommes et femmes, sont brutales, elles sont empreintes de bestialité, les mots sont très crus, ils parlent des femmes comme des brebis et de pisse très souvent car elle sert à tout : antiseptique, pour la qualité de la laine lors de la tonte, en gros ils se pissent dessus par amour.

Néanmoins il y a beaucoup de tendresse : Bjarni cherche les collines du paysage la forme des seins généreux d’Helga (« les mamelons d’Helga », lieu connu de lui-seul. Il  nous fait voyager dans cette Islande qu’il aime profondément et cette nature qu’il respecte tant, ce que ne savent plus faire les paysans d’aujourd’hui, qui sont des propriétaires terriens, des céréaliers, etc. etc. alors que le terme paysan est si beau. (cf. le choix du bélier par les technocrates qui vont décider de favoriser un bélier absolument pas adapté au terrain irrégulier sans le moindre bon sens). Il s’occupe de beaucoup de chose : Société de lecture, coopérative… il réfléchit aussi sur Dieu, « j’ai compris que ce Dieu qui est aux cieux doit être en partie fabriqué par l’homme », l’idéal, le socialisme

Il raconte aussi dans sa lettre l’histoire de ce vieux couple sur une île, dont la femme décède et il faut aller la chercher en barque pour la mettre dans un cercueil et qui en fait passera l’hiver sur l’île à cause des éléments déchaînés. Le vieil homme n’ayant d’autre solution que la fumer comme la viande pour respecter son corps dans la mort comme il l’a respecté tout au long de leur vie commune.

Cette Islande, il l’aime comme une femme et il nous transmet son histoire, sa nature sauvage, sa culture aussi en parsemant le texte de poèmes d’auteurs inconnus pour moi, de poèmes qu’il a écrit lui-même mais aussi que sa grand-mère récitait. Les descriptions sont très belles.

Bref une belle histoire et un beau voyage que je vous incite à tenter si vous ne l’avez pas déjà fait. Il a été qualifié de « bijou épistolaire » par un lecteur dans son blog et c’est mérité.

 

Note : 8,5/10

 

 

L’auteur :

 

birgisson-bergsveinn-347

Bergsveinn Birgisson est né en 1971. Titulaire d’un doctorat en littérature médiévale scandinave, il porte la mémoire des histoires que lui racontait son grand-père, lui-même éleveur et pêcheur dans le nord-ouest de l’Islande.

Immense succès dans les pays scandinaves ainsi qu’en Allemagne, la Lettre à Helga est enfin traduit en français.

 

 

bergsveinn_4014

Extraits :

 

« Certains meurent de causes extérieurs. D’autres meurent parce que la mort depuis longtemps soudée à leurs veines travaille en eux, à l’intérieur. Tous meurent. Chacun à sa façon. Certains tombent par terre au milieu d’une phrase. D’autres s’en vont paisiblement dans un songe. Est-ce que le rêve s’éteint alors, comme l’écran à la fin du film ? P 9

 

J’en ai eu gros sur le cœur quand la médisance a fait son chemin dans la contrée, ou plutôt comment dire, la médisance a gonflé sa grosse bulle autour de mon cœur. P 20

 

Littérature et culture générale semblaient n’être pour elle qu’un luxe superflu qu’on devait honte de s’offrir puisque le temps qu’on y passait était volé au travail. P 26

 

On dénigre les fermes les plus ingrates à exploiter en les déclarant loin de la civilisation ; se pourrait-il qu’on y trouvât, comme par hasard plus de civilité qu’ailleurs ? P 50

 

La dernière fois que je suis passé par Holmanes, il ne restait plus rien sauf la butte toute verte où se dressait jadis la maison. La brise dans les herbes verdoyantes et le souvenir d’êtres humains. Et c’est comme ça, ma Belle, qu’il en ira de nos fermes à nous aussi. P 58

 

Le malheur est que ce genre de foutaise démolit tout ce que la culture islandaise à édifié ; les gens vont à l’étranger apprendre une connerie quelconque qui ne s’applique pas à notre île, et ils font tout ce qu’ils peuvent, au nom de la nouvelle mode, pour saboter et éradiquer les particularités qui ont pu se développer ici.  P 63

 

Kristin, ma grand-mère…est baignée de douce ancienneté dans ma mémoire. A son époque, à la campagne, le savon n’existait pas ; on lavait le linge et les vêtements à l’urine fermentée, comme de toute éternité. Elle faisiait souvent la remarque que ce n’étaient plus des cheveux mais une tignasse morte qui couvrait la tête des femmes d’aujourd’hui. Dans sa jeunesse, disait-elle, quand les femmes se shampouinaient à la pisse, leur chevelure longue et épaisse resplendissait. P 73

 

A présent les gens ne se parlent plus, ne se réunissent plus ! Et de bons conteurs d’histoires, on n’en trouve plus nulle part. P 86

 

Et si l’on se donne pour acquis ce que les gens des villes d’aujourd’hui s’imaginent – à savoir que le bonheur consiste à pouvoir s’offrir tout ce qu’on trouve dans les boutiques au point d’en devenir nécessiteux en son for intérieur, que la félicité réside dans la liberté de choisir tout ce qui vous passe par la tête, comme si le monde était un restaurant universel – n’est-ce pas une manière de condamner les générations passées qui ont pu vivre ainsi ? le bonheur et la plénitude seraient-elles les toutes dernières inventions des gens des villes ? P 96

 

Lu en juin 2014

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Commentaires
P
Je suis fan des couvertures de cette maison d'édition et ce titre me fait bien envie. Je note.
A
Une lecture qui m'a déçue. Je m'attendais à une lettre d'amour à une femme. Il n'en est rien.
E
Peut-être aimerez-vous La Femme d'un seul homme de Moberg, qui n'est pas sans lien avec La Lettre à Helga, roman que j'ai chroniqué il y a quelques semaines sur http://espritdenarvik.fr/wordpress/femme-dun-seul-homme-wilhelm-moberg/
E
Un grand livre, évidemment. En revanche, je ne suis pas certain que l'auteur évoque "les femmes" avec bestialité. Mais plutôt la dimension bestiale de la vie, de la vie en général, au plus près de la nature, bestialité qui n'interdit pas, presque au contraire et paradoxalement, la force des sentiments... humains. Cet entrelacement nous surprend, nous latins. Il nous dépayse radicalement.
L
Il est vrai qu'on parle beaucoup de ce livre et tu me donnes encore plus envie de le découvrir.
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