"Un si bel été" de Georges BONNET
J'ai fini ce livre avant de commencer "N'oublier jamais" et j'ai eu beaucoup de mal à rédiger ma critique tant cele livre de Georges Bonnet est particulier.
Résumé
B. est un homme âgé d’une soixantaine d’années. C’est un taiseux, qui aime se promener dans sa chère prairie, car là il est seul tranquille, loin de son épouse acariâtre, de sa fille, Marthe, la marchande de légumes et de son beau-frère qu’il appelle « le débile ».
L’histoire commence par une promenade bucolique qui va se terminer de façon tragique. En arrivant à la maison, « le débile » l’attend en gesticulant pour lui annoncer que sa femme est morte.
En voyant ce corps étendu sans vie, dans une posture étrange car elle est tombée, il revoit toute sa vie conjugale défiler ainsi que ses souvenirs d’enfant.
Il se revoit le jour du mariage, quand il lui tenait le bras, se souvient des gestes tendres, alors que ses yeux se fixent sur des choses sans importance, les aiguilles à tricoter sur le fauteuil, le jupon qui dépasse de la jupe, « le débile », la bouche ouverte, la chienne qui veut une caresse. B. est en train de se couper de ceux qui l’entourent, alors que Marthe s’active autour de sa mère, en prend possession.
Le médecin arrive, les voisins défilent….
Ce que j’en pense :
On assiste à la solitude d’un homme que s’aperçoit tout à coup, que les êtres proches peuvent disparaître, mourir d’une minute à l’autre, alors que la nature demeure immuable, comme sa chère prairie. Il est dans un état de sidération et observe les choses mécaniquement, essayant de se raccrocher au tangible, les aiguilles de l’horloge, l’envie d’uriner, la vaisselle sale dans l’évier…
Il y a une alternance entre l’observation des faits et des personnes tels qu’ils sont dans la pièce et le vagabondage de son esprit. Il est là physiquement, son corps est là, mais sa pensée est très loin, en communion avec la nature qui, elle, ne trahit pas. La prairie, même si elle change au cours des saisons, est toujours là, elle existe pour l’éternité alors que l’existence humaine est forcément limitée dans le temps, dans l’espace dans la liberté.
La fenêtre met une barrière entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’interne et l’externe, c’est elle qui met les limites. B. est sans arrêt dans la dualité, comme si le fait d’opposer, la réalité de l’instant et le monde extérieur lui permettait de rester debout.
L’auteur oppose souvent l’animé et l’inanimé, le vivant et le mort. Il regarde sa fille qui s’agite, fait face alors que lui pense à son père décédé, mes mouvements de sa fille rappellent ceux du père autrefois.
Il semble ne rien éprouver car les émotions sont retenues depuis longtemps, il se sent mort lui-même, il ne comprend pas ce qui lui arrive comme si quelque chose venait de se casser. Est-il dans le déni ou est-il parti en même temps qu’elle ?
J’ai apprécié la poésie du texte, car Georges Bonnet est avant tout un poète, mais j’ai ressenti tout au long du livre, une sensation de froid qui me pénétrait. Cet homme est seul, il n’est plus vivant, et même s’il y a des éléments plus légers : la prairie, les insectes, la vie à l’extérieur de cette maison, on se sent dans un caveau, il n’y aucune émotion chez les personnages.
On sent la mort nous envahir, malgré la beauté du texte. Etait-ce le but de l’auteur ? Ou est-ce la démonstration de la solitude extrême de l’être humain ? On a l’impression d’une analyse presque chirurgicale, implacable de la mort.
C’est sûr que la mort n’est pas quelque chose de gai, mais on s’attendrait à voir des êtres pleurer, se parler, échanger au moins quelques mots, quelques émotions, mais là on a l’impression d’être dans un caveau froid, et qu’une grande glaciation s’est abattue sur les personnages, sur le lecteur.
Le titre « un si bel été » est singulier, probablement parce que l’auteur oppose la nature si belle et si vivante avec la mort qui règne dans la maison, la vie ne peut-être qu’à l’extérieur, le cœur étant lui en hiver, ne dit-on pas que l’entrée dans la vieillesse est l’automne de la vie.
Le livre est écrit en petits textes, comme des poèmes mais aussi comme les pages si légères d’un éphéméride, ce qui rappellerait l’écoulement du temps, une seconde après l’autre, chacune nous rapprochant de notre mort. (« La pendule d’argent, qui dit oui, qui dit non et qui nous attend » chantait Brel)
Ce livre m’a impressionnée pour cela, l’absence d’affects, et surtout on est très loin de la douceur de son dernier roman « entre deux mots la nuit » où il évoquait le déclin de sa femme atteinte de sénilité. Le sujet était grave aussi mais, il y avait moins dureté.
Avis mitigé donc : je mets une assez bonne note quand même car l’écriture est très belle dans ce texte empli de mélancolie, au sens que ce terme avait aux siècles précédents. D'autre part, il s'agit de son premier roman, tous ses autres livres précédents étant des recueils de poème.
Note : 7/10
L’auteur :
Georges Bonnet est un auteur français, poète et romancier.
Il est né en 1919 à Pons, (en Charente-Maritime). Ce professeur d'éducation physique a publié son premier livre de poèmes à 45 ans (La Tête en ses jardins) et son second à 64 ans (Le veilleur de Javelles).
Il a publié depuis 2005 une quinzaine de recueils de poèmes.
Il a plus de 80 ans lorsqu'il publie, en 2000, son premier roman (Un si bel été). Ensuite quatre nouveaux livres de proses, romans et nouvelles ont suivi jusqu’à ce superbe récit inspiré par la lente disparition de sa femme, après une longue vie de compagnonnage et d’amour.
Il vit à Poitiers dans la Vienne.
Extraits :
« La prairie entre dans les saisons sans hâte, par d’insensibles glissements, avec ordre et sérénité, belle en sa rotondité comme en ses brisures et déchirures. P 15
Peu de morts dans sa vie. Le premier avait été sa mère.
Il s’était penché, l’avait embrassée, glacée, minérale, déjà pierre parmi les pierres. P 39
Il veut se composer un masque impossible à lire.
Il peut ressentir une émotion sans que son visage se modifie, et nul ne peut deviner ce qu’il éprouve.
Il est dans son bon droit.
Rien ne l’oblige à se manifester et à parler.
Il a conscience de son pouvoir.
Ceux qui le regardent ne savent rien de lui.
Il se sent orgueilleusement seul. P 46
Présence permanente de la prairie. Toujours offerte, sans urgence, étendue calmement comme une mémoire retirée à ses ensommeillements.
Ses rumeurs, apaisées, parviennent en vagues secondes.
A la cime des peupliers, le tremblement des feuilles, au ras de la rivière le chant des oiseaux, atténuent le sentiment de solitude.
L’aboiement des chiens, venus des fermes voisines, témoignent que le temps continue. P 56
La fenêtre du grenier donnant sur la cour était naturellement d’une extrême franchise.
Elle maitrisait alentour la vigueur des champs et du ciel, tout en s’abreuvant avec sagesse et modération.
Elle était lieu d’échanges et d’attente, mais par de secrètes poussières, d’infime traces de pluie, la moindre mouche morte, une parfaite gardienne du passé. P 105
Lu en avril 2014